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Bioindication des mares et étangs de France : où en sommes-nous ?

Frédéric Labat, notre responsable R&D, a obtenu son doctorat en décembre 2021 sur les facteurs environnementaux déterminants des communautés d’invertébrés et de macrophytes des mares et étangs de France continentale. L’occasion de dresser un bilan de l’avancée de nos travaux sur le suivi et la bioindication des mares et étangs

Frédéric, quels sont les apports principaux de ta thèse ?

Ma thèse porte sur deux grands sujets : d’une part, je propose deux « nouveaux » protocoles d’échantillonnages des macrophytes et des invertébrés (ceux qui permettent de calculer notre indice BECOME) applicables aux plans d’eau peu profonds de 1m² à 50ha (tous ceux très peu ou pas suivis par la Directive Cadre sur l’eau) et je les compare avec différentes stratégies d’échantillonnage inspirées de protocoles existants, et d’autre part, à partir de ces nouveaux protocoles, je mets en évidence les facteurs environnementaux (comme le climat, l’altitude, ou encore la taille du plan d’eau) qui influencent les communautés (leur composition, leur richesse, leur intérêt patrimonial…). Ces deux protocoles ont été publiés dans les revues internationales Biodiversity and Conservation et Aquatic Ecology.

Plus de 300 plans d'eau dans une grande diversité de situations ont été échantillonnés en France pour concevoir l'indice.

Rédiger des articles sur des protocoles d’échantillonnage est assez rare. Quel est l’intérêt ?

En effet, c’est assez rare. Cela peut s’expliquer principalement par le coût expérimental que cela requiert :  tester des protocoles est très chronophage. La validation méthodologique est donc souvent réalisée de manière implicite à partir de résultats obtenus a posteriori. On considère souvent que le protocole est valide lorsque les indices qui en sont issus discriminent bien des pressions. Pourtant ce n’est pas toujours suffisant, d’autant que l’on a tendance à appliquer ces protocoles pour des questions différentes de celles pour lesquelles ils ont été originellement conçus. Ainsi, on ne sait pas si le protocole IBEM, largement utilisé en dehors de son champ d'application, est robuste pour obtenir une image représentative de la richesse de tous les invertébrés, de la richesse spécifique en Coléoptères, ou des abondances de chaque taxon à l'échelle du plan d'eau. Les conclusions issues de protocoles non validés ou sortis de leur champ d'application d'origine peuvent donc être trompeuses. Tester des protocoles et les comparer à d’autres permet de mieux comprendre la qualité de la donnée récoltée, les limites de chaque protocole pour répondre aux questions posées, et leur influence sur les conclusions que l’on peut tirer des résultats. Ainsi, je démontre pour les macrophytes que l’utilisation de transects pour suivre les macrophytes est efficace pour calculer un indice d’état trophique, mais est très chronophage, et permet mal de détecter des espèces rares ou exotiques et ne donne pas une image représentative de la structure de la communauté. Pour les invertébrés nous avons notamment démontré que les stratégies d'échantillonnage IBEM et dérivés, parce qu'elles négligent la vase, un habitat pauvre en espèces mais souvent dominant, ne permettent pas d'avoir une image représentative de la structure des communautés d'invertébrés ou des traits bio-écologiques (ce n'était pas le but de l'IBEM). Nous avons donc testé et publié nos deux protocoles, dont l’objet principal est de récolter une donnée représentative et reproductible en un minimum de temps, permettant d’évaluer l’état écologique des mares et étangs dans les règles de l’art, mais également leur état de conservation. Leur publication dans des revues internationales est une garantie de la qualité de ces deux protocoles.

 

Représentation schématique des relations mises en évidence entre facteurs environnementaux déterminants et communautés de macrophytes et d’invertébrés 

 Pourquoi étudier les facteurs environnementaux déterminants des communautés ?

D’abord pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes mares et étangs. Mais pas seulement ! Identifier les facteurs qui influencent les communautés est fondamental dans la construction des indices, car cela permet de repérer quels sont les facteurs environnementaux à prendre en compte pour « s’affranchir » de leur influence. Par exemple, la richesse floristique est très fortement corrélée à la superficie du plan d’eau, mais est aussi influencée par l’altitude. Il faut donc soit définir une typologie de plan d’eau adaptée, pour laquelle sera attribuée des valeurs de référence de chaque métrique/indice (par exemple petit plan d’eau de plaine vs grand plan d’eau de montagne), soit créer des modèles permettant de prédire des valeurs de référence en fonction de ces facteurs déterminants. L'approche typologique, qui est celle retenue en France pour la directive cadre sur l'eau, est plus simple à mettre en œuvre, mais a tendance à caricaturer l’influence des facteurs environnementaux déterminants, et ne peut pas tous les prendre en compte. Mes travaux démontrent que l’altitude, la superficie, la distance à la source, le climat, la géologie sont des facteurs majeurs à prendre en compte dans la construction d’indices pour les mares et étangs. Pourtant, nombre d’entre eux n'ont pas été pris en compte dans les indices utilisés en France ou dans les pays limitrophes. Cela a probablement des conséquences sur la qualité des évaluations réalisées, et peut conduire à des stratégies de gestion non adaptées.

Quand l’indice BECOME sera-t-il publié ?

C’est en cours ! Un article sur les indices trophiques et sur la méthode prédictive que j’ai développée va être soumis au cours du mois de mai 2022. Cet article s'inscrit dans une nouvelle révision de l’indice, que j'espère soumettre avant fin 2022. Il suit toujours les préconisations de Hering et al., 2017, mais bascule d’un modèle principalement basé sur une typologie à un modèle purement prédictif. La nouvelle version, avec (presque) les mêmes métriques, répond à une plus large gamme de pressions et est plus sensible à ces pressions.

Le nouvel indice sera associé à un outil diagnostique permettant d’identifier quelles sont les pressions responsables de l’altération de l’indice multimétrique (par exemple la présence de poissons exotiques, d'un cours d'eau dégradé, une surpopulation d’oiseaux d’eau, du bétail qui accède au plan d’eau, des pratiques agricoles non vertueuses ou une trop forte urbanisation sur le bassin versant…).

As-tu fait d'autres découvertes à l'occasion de cette révision ?

Cette révision m'a permis de tester près de 800 métriques associées à plusieurs centaines de modèles prédictifs.

J'ai donc pu étudier le comportement des métriques ou groupes utilisés dans des indices utilisés par les gestionnaires. Par exemple, les Coléoptères sans modèle prédictif (utilisés dans l'ICOCAM) sont peu pertinents pour évaluer l'état des petits plans d'eau en général, sauf si on s'intéresse spécifiquement à l'impact des poissons sur les mares et étangs, car la présence de poissons "écrase" les impacts d'autres pressions qui pourraient être observés. Mais si on prend en compte la connectivité du plan d'eau à un cours d'eau (qui conditionne la présence "naturelle" de poissons), la taille du bassin versant (qui conditionne notamment la nature du peuplement piscicole), l'altitude, le climat, la superficie, l'ombrage, la profondeur moyenne et la géologie, alors les Coléoptères deviennent un bioindicateur très performant. Les odonates, qui sont souvent les seuls invertébrés à être suivis pour évaluer les mares, ne sont pas mieux lotis. Sans modèle prédictif, ils ne discriminent correctement aucune pression. Là encore, il faut prendre en compte neuf facteurs environnementaux pour obtenir de bons résultats! Dans l'article en cours de soumission, je démontre que l'IBML, développé pour les grands plans d'eau, est très faiblement corrélé au phosphore total. Ce n'est donc pas un indice trophique au sens strict du terme, en tout cas pour les petits plans d'eau. Toutefois, j'y démontre aussi que l'IBML (associé à un modèle prédictif!) est un des indices les plus performants pour discriminer les pressions. Les gestionnaires qui ont opté pour l'IBML pour évaluer un plan d'eau peu profond de moins de 50ha ont donc pu avoir tendance à diminuer les sources de nutriments en cas de mauvais IBML, alors que son altération pouvait être liée à d'autres sources de perturbation. Ces résultats soulignent l'importance pour un gestionnaire de choisir des outils dont l'application aux milieux étudiés a été validée. La publication de ces outils dans des revues internationales devrait être plus souvent exigée. Elle permet une validation indépendante par des chercheurs spécialistes du domaine, et de trouver des informations transparentes assurant une bonne utilisation et une bonne compréhension de l'outil.

J'ai également vérifié s'il était possible de proposer aux gestionnaires et à la société une version allégée de l'outil (avec des résolutions taxonomiques plus basses, à la famille pour les invertébrés, au genre pour les plantes, et sans estimation des abondances ou des recouvrements) dans l'esprit des sciences participatives. Les résultats ne sont guère satisfaisants, aucune métrique dérivée de cette approche ne discrimine des pressions. Pas le choix! Pour diagnostiquer convenablement une mare ou un étang, il faut des opérateurs aux compétences taxonomiques élevées et formés aux protocoles d'échantillonnages. Nous proposons donc des formations pour atteindre cet objectif. Ainsi, cette semaine, je forme à l'échantillonnage une doctorante qui travaille sur l'évaluation de la restauration de mares à l'échelle de l'Europe.

Hering, D., Feld, C.K., Moog, O., Ofenböck, T., 2006. Cook book for the development of a Multimetric Index for biological condition of aquatic ecosystems: Experiences from the European AQEM and STAR projects and related initiatives. Hydrobiologia 566, 311–324. https://doi.org/10.1007/s10750-006-0087-2

Labat, F., 2017. A new method to estimate aquatic invertebrate diversity in French shallow lakes and ponds. Ecological Indicators 81, 401–408. https://doi.org/10.1016/j.ecolind.2017.05.073

Labat, F., Thiébaut, G., Piscart, C., 2021. Principal Determinants of Aquatic Macrophyte Communities in Least-Impacted Small Shallow Lakes in France. Water 13, 609. https://doi.org/10.3390/w13050609
 
Labat, F., 2021. Facteurs environnementaux déterminants des communautés d’invertébrés et de macrophytes des petits plans d’eau peu profonds de France continentale. Université de Rennes 1, Rennes. https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-03660828

Labat, F., Piscart, C., Thiebaut, G., 2022a. Invertebrates in small shallow lakes and ponds: a new sampling method to study the influence of environmental factors on their communities. Aquatic Ecology 56. https://doi.org/10.1007/s10452-021-09939-1
     
Labat, F., Thiébaut, G., Piscart, C., 2022b. A new method for monitoring macrophyte communities in small shallow lakes and ponds. Biodiversity and Conservation 20. https://doi.org/10.1007/s10531-022-02416-7


Publié le 16 mai 2022


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