Retour BECOME

Indice BECOME : le premier outil français de Bioindication des ECOsystèmes Mares et Etangs

L’indice BECOME (Bioindication des ECOsystèmes Mares et Etangs) et son outil diagnostique permettent d'évaluer l'état écologique et l'état de conservation des mares et étangs permanents à semi-permanents de France continentale. Cet article présente la version ultime de l’indice, en cours de révision dans une revue internationale.

L'indice BECOME est un indice valable pour tout plan d'eau peu profond de métropole (jusqu'à 4m de profondeur moyenne, ou plus selon les conditions morphologiques et la situation géographique du plan d'eau), de 1m² à 50ha, permanent ou semi permanent (avec des assecs exceptionnels). En dehors de ces limites, l’outil peut être utilisé pour réaliser du monitoring. L'indice repose sur un relevé des macrophytes (végétaux visibles à l'oeil nu) et des macroinvertébrés (invertébrés visibles à l'oeil nu).

Les co-auteurs des protocoles et indicateurs BECOME sont: Frédéric Labat (docteur en écologie, Aquabio), Christophe Piscart (Directeur de recherche CNRS, Ecobio), Gabrielle Thiébaut (Directrice de recherche, Université de Rennes, Ecobio), Philippe Usseglio-Polatera (Directeur de recherche, Université de Metz, LIEC), et toute l'équipe d'Aquabio.

Grands principes de fonctionnement des plans d’eau peu profonds

Les plans d'eau peu profonds se caractérisent par deux états bien distincts :

  • un état « clair », fonctionnel, avec des eaux claires, des communautés de macrophytes et d'invertébrés diversifiées

  • un état « turbide », dysfonctionnel, pouvant provoquer des blooms phytoplanctoniques. La faune et la flore sont banalisées (diminution de la luminosité, disparition des habitats favorables à la faune, problèmes d'oxygénation pendant la nuit, production de toxines...). Cet état peut être pérenne ou saisonnier (Scheffer, 2004). Le basculement en état turbide est en général lié (1) à un enrichissement d'origine anthropique en nutriments, (2) l'introduction de poissons fouisseurs (carpes, brèmes) ou d’écrevisses invasives, (3) une communauté de macrophytes réduite à absente, liée à des particularités ou à des dégradations morphologiques, (4) des cataclysmes climatiques ou une très forte exposition aux vents couplée à une faible profondeur.

Pourquoi étudier les macrophytes ?
  • Les macrophytes sont l’habitat le plus biogène des plans d’eau peu profonds. Ils accueillent la majorité des invertébrés, des poissons et des algues non planctoniques (periphyton). Ils servent de support, d’abris, ou d’aliment pour ces êtres vivants (Wetzel, 2001). La présence d’une communauté de macrophytes diversifiée et abondante est donc essentielle au bon fonctionnement des plans d’eau peu profonds.

  • Ils limitent les phénomènes de houle qui peuvent entretenir un état turbide sur les plus grands plans d’eau (Scheffer et al., 1993).

  • Ils sont en compétition avec le phytoplancton souvent responsable des états turbides (blooms). Les macrophytes peuvent également empêcher l’apparition de ces blooms en secrétant des substances allélopathiques (Mulderij et al., 2007), substances empêchant la croissance de certaines algues ou autres végétaux.

Figure 1 : Rôle central des macrophytes dans le fonctionnement des plans d'eau peu profonds. Les macrophytes sont le régulateur principal du bon fonctionnement des plans d’eau peu profonds. Ils sont au centre de nombreuses boucles de rétroaction assurant la stabilité fonctionnelle du plan d’eau. Flèches vertes = effet amplifiant, flèches orange = effet restrictif. Par exemple, les macrophytes diminuent l’effet des nutriments en les consommant, et améliorent la capacité d’accueil pour les prédateurs comme le brochet. Certains oiseaux d’eau altèrent la communauté de macrophytes en les consommant, augmentent l’altération des berges en les piétinant et augmentent les sédiments en suspension en circulant dans le plan d’eau. C = consommation, H= habitat. (source : Scheffer, 2001, modifié Aquabio)

Pourquoi étudier les invertébrés ?

Les plans d’eau sont des pièges à matière : s’ils ne disposent pas d’un édifice trophique complexe assurant la dégradation, le recyclage, l’exportation ou le maintien dans la chaîne alimentaire de la matière organique, celle-ci s’accumule plus rapidement, entraînant des dysfonctionnements ou un comblement plus rapide du plan d’eau.

  • Les invertébrés occupent la quasi-totalité des niches trophiques des plans d’eau (figure 2). Ils participent très largement au recyclage et à la dégradation des matières organiques vivantes et mortes. L’analyse de l’édifice trophique des invertébrés permet d’obtenir une image de ce dont ils se nourrissent : matières organiques mortes, phytoplancton, zooplancton, périphyton, et même une partie des vertébrés. Leurs cycles de vie sont de plusieurs mois à plusieurs années. Ils sont donc une expression synthétique du fonctionnement trophique global du plan d’eau sur au moins plusieurs mois.

  • Certains insectes aquatiques ont la capacité de voler et peuvent quitter le plan d’eau. Ils sont donc une source d’exportation potentielle de matière organique susceptible de ralentir l’enrichissement et le comblement du plan d’eau. Cette exportation est plus importante pour les espèces qui ne sont aquatiques qu’à l’état larvaire, ces dernières n’y retournant que pour pondre. Ces insectes sont largement consommés par de nombreux vertébrés et insectivores, dont de nombreuses espèces à fortes valeur patrimoniales (oiseaux, chauves-souris, odonates adultes...).

Figure 2 : Place des invertébrés dans le réseau trophique du plan d’eau et pour partie dans les écosystèmes environnants (Adapté de Baxter et al. 2005 et Oertli & Frossard, 2018)

Parmi les invertébrés, n'étudier que les Coléoptères ou les Odonates, souvent dans une approche strictement qualitative (présence/absence), ne permet de donner qu'une image très parcellaire et parfois trompeuse de l'état des mares et étangs (Figure 3). Les coléoptères des mares sont notamment généralement très sensibles à l'empoissonnement, la présence de poissons a tendance à écraser l'influence d'autres pressions susceptibles d'influencer l'état de conservation ou le bon fonctionnement des mares.



Figure 3 : Dans ces deux mares,  ont obtient le même IcoCAM (indice basé sur une liste de Coléoptères identifiés à l'espèce), et un indice odonate RhoMeO indiquant un meilleur état de conservation dans la mare de gauche. Pourtant, le fonctionnement trophique de ces deux mares est très différent, celle de gauche est dominée par Asellus aquaticus, espèce détritivore exotique (l'état de conservation de cette mare est donc plus faible, contrairement à ce que suggère RhoMeO), alors que celle de droite est dominée par des Coléoptères et des Odonates prédateurs.  Une plus forte proportion de détritivores est un indice  très fiable d'altération.

L'indice become : une évaluation de l’impact des pressions, des fonctions et de la biodiversité par rapport à un optimum attendu

L’indice BECOME (Labat et Usseglio-Polatera, 2023) est un indice multimétrique qui respecte les préconisations (et va même au-delà) de la bioindication multimétrique issues des suivis d’état biologique en cours d’eau en Europe et ailleurs (Hering et al., 2006). Le respect de ces préconisations permet d'obtenir une évaluation robuste et opposable des mares et étangs. Cette évaluation repose notamment sur:

  • Des protocoles d'échantillonnage rapides, reproductibles et représentatifs, qui ont démontré leur efficacité pour obtenir une image représentative des communautés et repérer les espèces rares ou exotiques (Labat et al, 2022a, Labat et al, 2022b). Un exemple de comparaison de protocoles existants est disponible ici.

  • Une sélection des sites de référence basée sur des critères objectifs: plus de 80 sites dépourvus de pression observable/quantifiable, localisés  sur tout le territoire français.

  • Des modèles prédictifs, qui permettent de fournir une "carte d'identité de référence" unique à chaque plan d'eau étudié, à partir de  10 descripteurs environnementaux (altitude, trois paramètres climatiques, géologie, superficie, profondeur moyenne, ombrage, distance à la source et distance au cours d'eau le plus proche). Le choix de ces descripteurs est issu des travaux d'une thèse terminée en 2021 (Labat, 2021).

  • Une combinaison de 11 métriques, sélectionnées parmi 879 métriques à partir d'une combinaison d'analyses statistiques extrêmement rigoureuse, basée sur des données récoltées sur 318 mares et étangs de métropole. Chacune de ces métriques est sensible à au moins huit types de pression. Certaines de ces métriques fournissent des informations utiles aux gestionnaires : niveau trophique, rareté moyenne des communautés, équilibre trophique du plan d'eau... L'indice BECOME qui les combine, permet de discriminer très précocément l'influence de 13 types de pression (tableau 1).

  • Un outil diagnostique, qui permet d'identifier les causes probables d'altération des communautés. L'outil diagnostique propose également d'évaluer l'impact de la présence de poissons, à ne considérer que pour les plans d'eau naturellement apiscicoles. 

BECOME est donc le seul indice français pour les mares et étangs qui est validé par une démarche scientifique robuste basée sur des analyses statistiques, à toutes les étapes du processus.

Tableau 1 : Pressions prises en compte pour sélectionner les métriques de l’indice BECOME
Famille de pressionType de pression
Bassin versant% de surface urbanisée

% de surface agricole

% de prairies fertilisées ou surpâturées

Présence d'un rejet, ou cours d'eau alimentant le plan d'eau altéré.
HydromorphologiquesZone littorale peu accueillante (berges verticales ou instables)

Sommet de berge altéré (piétinements anthropiques...) 

Assecs
Biotiques internesEcrevisses exotiques bioturbatrices

Poissons exotiques

Rongeurs exotiques

Cyprinidae

Surpopulation d'oiseaux d'eau

Bétail accédant au plan d'eau

Les métriques sélectionnées sont : 

  • TRI et SRI permettant d'évaluer la rareté moyenne du peuplement d'invertébrés et de macrophytes. Ces métriques, dérivées de Foster et al., 1989, sont basées sur la fréquence des taxons en milieu aquatique évaluée d’après un jeu de données de plusieurs milliers de sites en France continentale.

  • La richesse relative du groupe biologique g (Usseglio-Polatera et al., 2001), qui traduit une régression des invertébrés les plus caractéristiques des mares et étangs, et une modification de l'édifice trophique.

  • L'abondance relative des invertébrés détritivores, qui indique un dysfonctionnement de l'édifice trophique et une diminution des ressources alimentaires pour les écosystèmes avoisinants

  • Deux métriques qui traduisent une banalisation des communautés d'invertébrés, d'après leur thermophilie et leur préferendum altitudinal

  • La métrique TIM2S (Labat et Thiébaut, 2022), qui permet d'évaluer un écart au niveau trophique attendu 

  • L'abondance relative des Ephéméroptères, indice précoce d'une eutrophisation

  • La richesse relative en Ephéméroptères, Plécoptères et Trichoptères, taxons plus tolérants à une large gamme de perturbations dans les plans d'eau

  • L'indice de Shannon sur les formes de vie de Mäkirinta, indice de la capacité d'accueil du plan d'eau
  • Le Trophic Ranking Score (TRS, Palmer, 2002), indice d'une modification des communautés de macrophytes en lien avec une large gamme de perturbations

Voici deux exemples de résultats obtenus sur deux plans d'eau pyrénéens:

 Figure 4 : Exemple de diagramme radar de l'outil diagnostique BECOME et résultat de l'indice et des métriques, sur un des rares plan d’eau des Pyrénées Orientales non empoissonné. L'outil diagnostique indique une très forte vulnérabilité naturelle du plan d'eau liée à sa morphologie qui n'impacte pas (ou très peu) l'indice, mais qui signale qu'un empoissonnement aurait de très graves conséquences sur ce plan d'eau. L'outil diagnostique indique un impact très modéré du pâturage, présent sur le bassin versant. Cet impact est observable sur la métrique TIM2S (très légère eutrophisation).